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Le bordel capitaliste - Jacques Prévert

Envoyé par Cees:

Rose-Zehner.-Gr%C3%A8ve-chez-Citro%C3%ABn-1938-%C2%A9-Willy-Ronis.jpgBonjour Denis,

Voici un lien vers un joli film, avec une polémique entre les deux capitaines d’industrie d’automobile, André Citroën et Louis Renault et un joli poème de Jacques Prévert directement lié à ce film. On comprends mieux ce poème de Prévert après avoir vu le film.

(Merci Cees ! Très intéressant et tellement actuel! J'ajoute à votre message la vidéo de Prévert lisant lui-même son poème)

Citroën

À la porte des maisons closes,

C’est une petite lueur qui luit…

Quelque chose de faiblard, de discret,

Une petite lanterne, un quinquet.

Mais sur Paris endormi, une grande lueur s’étale :

Une grande lueur grimpe sur la tour,

Une lumière toute crue.

C’est la lanterne du bordel capitaliste,

Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.

Citroën ! Citroën !

C’est le nom d’un petit homme,

Un petit homme avec des chiffres dans la tête,

Un petit homme avec un drôle de regard derrière son lorgnon,

Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson,

Toujours la même.

Bénéfices nets…

Une chanson avec des chiffres qui tournent en rond,

300 voitures, 600 voitures par jour.

Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…

Bénéfices nets…

Millions, millions, millions, millions,

Citroën, Citroën,

Même en rêve, on entend son nom.

500, 600, 700 voitures

800 autos camions, 800 tanks par jour,

200 corbillards par jour,

200 corbillards,

Et que ça roule

Il sourit, il continue sa chanson,

Il n’entend pas la voix des hommes qui fabriquent,

Il n’entend pas la voix des ouvriers,

Il s’en fout des ouvriers.

Un ouvrier c’est comme un vieux pneu,

Quand y’en a un qui crève,

On l’entend même pas crever.

Citroën n’écoute pas, Citroën n’entend pas.

Il est dur de la feuille pour ce qui est des ouvriers.

Pourtant au casino, il entend bien la voix du croupier.

Un million Monsieur Citroën, un million.

S’il gagne c’est tant mieux, c’est gagné.

Mais s’il perd c’est pas lui qui perd,

C’est ses ouvriers.

C’est toujours ceux qui fabriquent

Qui en fin de compte sont fabriqués.

Et le voilà qui se promène à Deauville,

Le voilà à Cannes qui sort du Casino

Le voilà à Nice qui fait le beau

Sur la promenade des Anglais avec un petit veston clair,

Beau temps aujourd’hui ! Le voilà qui se promène qui prend l’air,

A Paris aussi il prend l’air,

Il prend l’air des ouvriers, il leur prend l’air, le temps, la vie

Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier,

Ses poumons abîmés par le sable et les acides,

Il lui refuse une bouteille de lait.

Qu’est-ce que ça peut  lui foutre, une bouteille de lait ?

Il n’est pas laitier…Il est Citroën.

Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres.

Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions.

Des journalistes mangent dans sa main.

Le préfet de police rampe sur son paillasson.

Citron … Citron …Bénéfices nets… Millions… Millions…

Oh  si le chiffre d’affaires vient à baisser,

Pour que malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas,

Il suffit d’augmenter la cadence et de baisser les salaires

Baisser les salaires

Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,

Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup

Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,

Pour faire la grève…

La grève…

Vive la grève !

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Ci-dessous: Jacques Prévert lit lui-même son poème

Le fim (ci-dessous)

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